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Histoire de pêche sur une rivière d'Australie

La patience et la persévérance sont des qualités nécessaires à tout bon pêcheur. Voici une petite histoire qui illustre ces traits essentiels au succès de l'entreprise en question, sans oublier la bonne dose de chance…

« On ne peut pas dire que la confiance règne », dis-je à la blague, en saluant Tom qui préparait des sandwichs lorsque je suis arrivé chez lui au levée du jour.

« Dans le bush, tout peut arriver! Il faut se préparer en conséquence. Sans vouloir insulter tes capacités à attraper quelque chose de mangeable », répondit mon ami, en glissant quelques bières sous la glace de son « Eski box », l'inséparable glacière ainsi nommée par les Australiens.

Tom s'était mis dans la tête de m'amener à la pêche à la truite sur une rivière loin des banlieues de Melbourne. Je crois qu'il avait pris au sérieux ma boutade à l'effet que «j'attrape toujours du poisson, là où je vais » !

C'était il y a vingt ans. Des événements sur lesquels nous ne nous étendrons pas m'avaient amené à l'autre bout du monde. Précisons qu'il ne s'agissait pas d'un voyage planifié et que mes conditions de vie, de survie devrais-je dire, n'avaient rien du tourisme organisé.

Mais pourquoi vous parlerais-je d'une expérience dans l'autre hémisphère pour illustrer un aspect essentiel à l'appréciation du plein-air au cœur de notre belle nature à nous? Parce que nous ne sommes pas tous amérindiens, pour qui la forêt boréale est le terrain de jeu. Nous n'avons pas tous grandi sur un tas de filet au bord de la mer ou été élevés par des fermiers cultivateurs. Nous ne naissons pas experts en survie dans notre propre milieu.

L'expérience et la connaissance sont deux notions au sens distinct qui deviennent à jamais une partie de notre être. La connaissance s'acquiert par la lecture, l'écoute et l'observation. L'expérience est le fruit de l'essai, de la résolution de problème et de la répétition d'événements. De la pêche en rivière en Australie, je n'avais pas vu l'ombre de l'une ou de l'autre, vous vous en doutez maintenant.

« Crocodiles ? Je ne crois pas » !

Nous avons roulé quelques heures sur une autoroute. L'étonnant véhicule 4 x 4 hybride pétrole-propane bourdonnait si fort qu'il décourageait toute tentative d'engager la conversation, et surtout m'empêchant de poser toutes les questions qui me brûlaient les lèvres.

« Crocodiles? Non! Enfin… je ne crois pas, » hurla Tom, en bifurquant sur un petit chemin de terre après une bonne dizaine de kilomètres de routes secondaires.

Tout, absolument tout de la nature environnante était neuf à mes yeux, inconnu et sujet de curiosité. Red river gum tree, Snow gum? Lequel des eucalyptus est le favori du koala? Qu'est-ce qu'un billabong au-delà d'une marque de maillot de surf ?

Mais voilà que la jeep ralentit à l'approche d'un virage épousant le coude d'une rivière que j'aperçois soudain pour la première fois. Allons-nous vraiment pêcher ici ?

L'endroit est vraiment très beau, certes. L'eau est plutôt calme et file entre les grosses pierres qui effleurent la surface, passant de l'ombre à la lumière au gré des arbres. Je constate que le courant n'est pas très fort et la limpidité de l'eau me laisse supposer que le fond n'est jamais loin. Surtout, l'endroit est très, très accessible.

En fait, cela ressemble assez à la halte la plus populaire du coin. La place où l'on amène les enfants en pique-nique le dimanche matin.  Mon ami me regarde avec l'air de dire « C'est ça qui est ça ». Puis il entreprend de mettre en ordre son matériel de… plongée ! Car, me dit-il, il ira d'abord à la pêche aux écrevisses dont il m'assure qu'ils sont nombreux et surtout délicieux.

Un leurre doté d'une espèce d'hélice

« Nous ne sommes pas les premiers à venir pêcher ici, hein ? », lançais-je, avec une ironie sans subtilité que je n'arrive pas à dissimuler, découvrant les contenants de vers vides au fond de la poubelle.

Ce n'est pas tout-à-fait l'Outback imaginé lorsque j'observais le matériel de camping casé à l'arrière du tank du désert! Mais Tom s'avance déjà dans l'eau, masque et tuba dans une main, sac filet dans l'autre.

Il faut que je me mette au travail. Je monte soigneusement la canne, le moulinet et le fil. Tout mon matériel est gentiment prêté par un collègue de la boutique où j'ai trouvé un emploi saisonnier. Tout va bien, mais en ouvrant son « tackle box » je découvre avec stupéfaction que les différents leurres sont tous destinés, à ce que j'en déduis, à la pêche en mer : petites méduses et pieuvres articulées, poissons plombés et énormes hameçons mouchés de plumes multicolores…

Il va me falloir improviser. Je décide de démonter un leurre de traîne doté d'une espèce d'hélice et d'un gros hameçon triple dont le corps est formé d'une plaque incurvée argent, qui me servira de cuillère devant un avançon d'une vingtaine de centimètres.

Le plus petit hameçon trouvé au fond de la boîte me semble démesuré alors que je jette un regard sur la rivière. Difficile d'imaginer qu'un poisson assez gros pour se piquer dessus puisse nager dans une onde aussi mince.

C'est le début de la pêche

Pire encore, si une truite s'y trouvait à notre arrivée, qu'en est-il maintenant alors que j'aperçois mon scaphandrier d'eau douce qui patauge à grand coup de palme, soulève les cailloux et souffle avec force dans son tuba ?  Je pique un des vers de terre anémiques que j'ai trouvé hier soir, dédaignés par les poules des gens chez qui je loge. Me voilà dans l'eau, et à ma grande surprise, elle est fraîche! Voilà au moins un bon signe.

Je lance doucement en amont des obstacles, comme je l'ai toujours fait en rivière. En espérant que le vers ne se décroche pas, je laisse la cuillère dévaler le courant autour des grosses roches qui ressortent ou font des remous, puis je ramène lentement, par petits à-coups pour que les éclats de lumières attirent l'attention d'une éventuelle prise qui trouvera le vers à sa suite… Oh! Une touche ?

Lorsque mon attirail sort de l'eau, je constate que le vers n'y est plus. Il faut donc recommencer. Mon esprit est maintenant concentré à tenter de détecter la différence entre l'éventuelle attaque d'un poisson et les accrocs sur le fond pierreux. Le scénario se répète et le constat est le même, c'est-à-dire qu'à tous les cinq ou six lancés, mon leurre se retrouve dégarni et propre comme la gamelle du chien.

Sans doute, si ce sont bien des petites touches qui font ployer le scion de la canne, l'hameçon est trop gros pour les bouches des poissons qui se délectent de l'aubaine.

En attendant d'en prendre de plus gros

Au bout d'un peu plus d'une heure, voilà Tom qui se relève dans son coin un peu plus bas. Il gesticule et toute sa mimique m'indique qu'il a attrapé quelque chose.

Après un si long moment, et alors que je m'attendais à découvrir un trophée, voilà qu'il me demande de valider, à l'aide de la mesure moulée sur le couvercle du petit coffre de pêche, la taille de son unique prise ! Et franchement, l'écrevisse ne fait pas tout-à-fait la longueur réglementaire requise.

Il décide tout-de-même de le garder, bien en vie dans son filet, « en attendant d'en prendre de plus gros » !

Pour ma part, constatant qu'il ne me reste que deux petits bouts de vermisseaux, je suppute en secret l'idée d'utiliser des sections du pauvre animal afin de regarnir mes espoirs…

Dix minutes plus tard, c'en est fait de ma pêche au vers.  Mon comparse semble avoir réalisé que son temps investi ne rapporte pas le dû de ses efforts.  Je l'observe du coin de l’œil, approbateur mais non sans un léger pincement de regret, remettre le précieux et fort probablement l'unique écrevisse de la rivière en liberté.

« J'abandonne, c'est fini pour moi. Tu veux un sandwich ? »,  me demande-t-il en lançant ses palmes sur la berge. « De toute façon, faut bien monter le campement pour la nuit, préparer le feu. Il nous restera peut-être même du temps pour chercher un commerce où acheter à manger, parce que pour toi non plus, ce n'est pas la grosse récolte » !

« Tu crois vraiment qu'il y a de la truite dans cette rivière ? Ne penses-tu pas que s'il y en a déjà eu, elles ont toutes été prises il y a longtemps ? », dis-je en m'asseyant à son côté. « Passe-moi d'abord une bière s'il-te-plait » !

Le lac au camp Boute-en-train

Il me tendit une canette bien fraîche immédiatement, suivi de l'un de nos deux seuls sandwichs. Et c'est en saisissant les tranches de pain de mie que je me suis souvenu de ma toute première truite.

Sur le quai du lac au camp Boute-en-train à Chertsey… Je me suis alors relevé et j'ai replacé la bière dans la glace, et j'ai entrepris de rouler un bonne boule de mie de pain dans laquelle j'enfonçai l'hameçon.  Mon ami me regardait en secouant la tête, incrédule et dubitatif.  « Tu ne lâches pas prise facilement » !

« J'attrape du poisson partout où je pêche », dis-je en m'avançant résolument vers l'eau. 

Et c'est là bien sûr, chers lecteurs que vous attendez le moment tant attendu de l'attaque surprise du poisson légende qui devait m’entraîner dans les rapides à sa suite, au bout du moulinet vidé comme dans ce très beau film où Brad disparaît en tenant son chapeau d'une main, la canne de l'autre…

Mais ça ne s'est pas passé comme ça. Pourtant c'était bien le scénario qui se jouait dans ma tête. Nous étions sortis de l'eau depuis quelque minutes et la rivière avait repris son calme. J'étais également conscient que Tom avait passé un bon moment a remuer les cailloux du fond de l'eau à la recherche de ses foutus écrevisses, libérant ainsi des sédiments et des insectes dans le courant.

Je m'étais donc posté au plus haut de sa position à lui et je me suis mis à descendre avec le courant, bien campé au centre en laissant la boulette partir avec le courant qui entraînait la cuillère.

Un nouveau compagnon

J'ai perdu boulettes sur boulettes. Par les bons soins de Tom, la tente avait été montée depuis un moment déjà. Une bonne réserve de bois s'entassait près du feu qui n'attendait qu'une flamme et l'arrivée imminente de la soirée. Il ne me restait plus qu'un coin de la dernière tranche de ce qui aurait dû être mon lunch.

Et je vous assure que j'étais dépité. Pendant ce temps, en cherchant du bois, mon ami était tombé sur un chien sans collier qui semblait perdu. L'animal bien gentil, visiblement affamé était facilement devenu copain avec nous après qu'il eut été gratifié de ce qui restait de mon sandwich.

Sans ce nouvel ami, je suis certain que mon compagnon m'aurait convaincu de son ennui pour me faire sortir de l'eau.. Mais j'arrivais maintenant à cette conclusion par moi-même.

En constatant, du fond de ma poche, que je piquais mon dernier bout de pain, j'ai décidé de rentrer. J'étais alors au plus bas du coude de la rivière, en aval. La remontée sur le fond de cailloux ronds dans le courant, même relativement faible, est plus difficile que la descente. De plus, il s'ajoutait la difficulté des reflets du soleil, maintenant franchement bas.

Un dernier lancer

Un dernier lancer, cette fois en amont. À contre-courant et sans écraser le pain cette fois, sachant bien qu'il s'agissait d'une dernière offrande. Un bout de croûte fragile sur un hameçon à peine camouflé entraîné par une cuillère improvisée.

Le mouvement m'a fait perdre l'équilibre et j'ai mis un genou à l'eau, m'éclaboussant d'une main plongée en catastrophe, la canne bien haute dans l'autre. Je n'ai rien vu, rien entendu, rien senti. Ce n'est qu'en rembobinant le fil que la tension s'est manifestée, franche et pesante. Déjà Tom et le chien, qui avaient entendu l'attaque se produire juste devant eux, étaient tout à l'attention, au bord de l'eau. 

La truite était grosse. Bien plus imposante que j'aurais pu m'imaginer, derrière un rocher de cette petite rivière. Assez grosse pour susciter l'ébahissement total de mon ami qui n'arrivait pas à contenir sa joie. « Holy Molly! That's quite a goal kick, Sebby! Quite a goal kick! ». 

« Allume le feu, Tom. J'ai attrapé le souper » !

Croyez-le ou non, la truite était, oui, assez grosse pour que nous en fassions notre repas tous trois. Car le chien eu droit à la tête, aux arrêtes et la peau. Il dévora tout puis disparu dans la nuit alors que crépitait les dernières braises.

Il n'y a pas de morale à cette histoire, ni de leçon. Nous savons tous qu'il faut persévérer, et savoir utiliser ses ressources. J'ai mentionné en début de texte que la connaissance et l'expérience ne nous sont pas données, et  ce sens, même l'échec est une sagesse de plus qui paiera une jour…

Écouter, observer, tenter de résoudre des problèmes, c'est ainsi qu'on acquiert la culture qui nous habite. Finalement, les truites australiennes ne sont pas si différentes de celles de chez nous !

Auteur : Sébastien Lamarre

Catégorie : Pêche

Publié le : 2022-08-28 10:51:07